La ville conflictuelle : Opposition, Tensions, Négociations
Ce projet de colloque s’inscrit dans la continuité des colloques organisés à l’université de Cergy-Pontoise les 4 et 5 décembre 2005 « Les territoires urbains face aux défis de la ségrégation : comparaison Etats-Unis – France », les 17 et 18 novembre 2011 « Les habitants : acteurs de la rénovation urbaine ? », les 30 novembre et 1er et 2 décembre 2011 « Des frontières indépassables ? » organisé avec l’université Paris 8 ainsi que de la journée d’étude du 14 janvier 2014 « Activisme, participation, contestation : la place des habitants dans les processus de patrimonialisation en banlieue ». Il fait également écho à des colloques ayant eu lieu dans d’autres universités sur des thématiques pour partie similaire.
La ville est fréquemment le théâtre de conflits, voire de violences. Les plus visibles d’entre-elles semblent concerner les banlieues. Celles de l’agglomération parisienne en octobre 2005 restent dans les mémoires, celles plus récentes de Stockholm, en mai 2013, attestent que ce phénomène est plus général et affecte même des pays habitués au consensus social. Le projet de ce colloque n’est pas tant de cibler ces pointes de violences mais de s’attacher à d’autres modalités de conflits. Celles-ci traversent les espaces urbains, se concentrent sur les projets d’aménagement, ici sur une destruction, là sur une réorganisation du tissu urbain, ou encore sur l’occupation et les usages des espaces publics. Les conflits sont révélateurs des jeux de pouvoir au sein de l’espace urbain. Ils font émerger des perceptions différentes, des modes variés d’occupation de l’espace. Ces conflits peuvent se traduire par des flambées de violence mais, le plus souvent, il s’agit de tensions plus sourdes, passant par des recours juridiques, des procédures particulières, des mobilisations citoyennes, etc. Les villes constituent ainsi un espace de confrontations entre des groupes sociaux, des collectifs qui peuvent s’instituer en minorités, en communautés, ou en groupes affinitaires, des citadins prêts à entrer en conflit car ils ne partagent pas les mêmes intérêts, n’habitent pas la ville de la même manière. Pour visibles qu’ils soient, ces conflits restent la plupart du temps contrôlables à un niveau de faible intensité. Cette notion doit toutefois être relativisée, l’intensité variant selon le lieu d’où elle est ressentie. Les conflictualités conduisent à interroger les nouvelles relations qui se tissent entre la société et le politique, pouvant conduire dans une logique d’opposition systématique à une délégitimation de ce dernier.
Il s’agira donc de décrypter les conflits urbains du triple point de vue de leurs processus, de leurs lieux et de leurs représentations en les mettant en relation avec leurs éléments déclencheurs, ce qui heurte, ce qui dérange, ce qui conduit à l’opposition entre des groupes ou entre un groupe et un pouvoir. Ces conflits peuvent être liés à des aménagements urbains décidés unilatéralement, à des usages contradictoires des espaces par des groupes revendiquant la légitimité exclusive de leurs pratiques. En revanche, le colloque ne portera pas sur les conflits liés à la crise économique et sociale, ni à ceux d’ordre idéologique ou politique dont la ville peut être le théâtre, mais bien sur la ville objet même des mobilisations et des combats militants. Il s’agira d’explorer les microtensions qui émaillent la vie urbaine et en révèlent les soubresauts profonds. Il s’agira aussi d’interroger les nouveaux rapports de domination qui caractérisent la métropolisation. Nous nous intéresserons particulièrement aux facteurs qui alimentent les représentations, les peurs, les angoisses et contribuent à alimenter tensions et conflits. Que nous disent-ils des jeux d’acteurs, et des enjeux de pouvoir qui caractérisent la ville contemporaine ? Il peut à la fois s’agir des tensions résultant de l’inégal accès à des ressources de l’espace ou de la volonté de préserver des lieux en en garantissant l’interdiction. Un conflit urbain est toujours la traduction d’un jeu complexe d’acteurs. Ceux-ci peuvent être coordonnés, politiquement organisés, se réunir et se regrouper sous forme de réseaux et de collectifs ou, au contraire, agir de manière épidermique à ce qui est ressenti comme une agression. Les moyens mis en œuvre peuvent être également de différente nature : mobilisation citoyenne, pression sur les élus ou sur les représentants de l’Etat, multiples recours que permet le droit, sans exclure l’exercice de violences sur des biens ou des personnes.
Par-delà ces analyses générales, il s’agira de dégager des grilles d’analyse pertinentes à propos des conflictualités urbaines en prenant différents axes d’approche : la typologie des conflits évolue-t-elle au cours du temps ? Les groupes impliqués changent-ils ? Les lieux de la conflictualité se déplacent-ils ? Est-on en mesure d’établir une géographie de la conflictualité urbaine, en fonction des niveaux d’intensité, des catégories de conflits et des groupes qui les portent ? Si les conflits urbains sont couramment associés aux espaces périphériques, ceci ne résulte-t-il pas pour partie d’une sélection implicite résultant du traitement de l’information ? Par effet de myopie, d’autres formes de conflictualité ne sont-elles pas sous-estimées, voire ignorées ? Quels sont donc les nouveaux objets de confrontation qui émergent, et sous quelle forme ?
Si le moment du conflit révèle un pic de la tension, celui-ci ne peut être limité à cette seule phase. Il s’inscrit dans un processus : il existe un avant et un après. Il s’agira donc de cerner les facteurs qui déclenchent les conflits, de les identifier comme forces nécessaires à la cristallisation des tensions, mais également d’en analyser le dénouement. Le conflit ne pouvant constituer le mode de fonctionnement permanent des sociétés urbaines, il est par conséquent nécessaire d’analyser la façon donc ceux-ci s’apaisent ou se règlent. Qui effectue l’arbitrage final : un tribunal, un décideur politique ? La sortie du conflit fait-elle apparaître des vainqueurs et des perdants ou est-elle liée à l’émergence d’une solution « consensuelle » ? Le conflit doit donc être appréhendé comme un symptôme des rapports de force qui traversent les sociétés urbaines et s’appliquent à leurs espaces. Il permet d’analyser les diverses modalités d’affrontement et de négociation qui s’élaborent entre les parties prenantes. La transformation constante de la ville conduit à des réorganisations, à des jeux de positionnement et de repositionnement. Telle transformation sera perçue comme une menace et conduira à des oppositions qu’il s’agira de comprendre, de décrypter, à la fois dans ses éléments déclencheurs mais également dans les interactions plus profondes qu’elle révèle. Face à ces tensions, différents modes de régulation peuvent apparaître : anticiper, canaliser, dominer, nier. Ils ne peuvent être dissociés des contextes spécifiques dans lesquels ils s’inscrivent, telle société ayant progressivement élaboré des modes de gouvernance permettant de canaliser les tensions, telle autre non.
Afin d’aborder ces thèmes, le colloque s’ouvrira à une large palette de situations conflictuelles en ville, qu’il s’agisse d’une grande agglomération ou d’une ville de rang inférieur, qu’il s’agisse d’un conflit affectant son centre ou ses marges périurbaines. Ces conflits et les mobilisations qu’ils induisent peuvent porter sur le contexte français ou concerner un autre pays. Cette dimension est importante à prendre en compte car les modes de régulation peuvent différer d’un contexte à l’autre.