Les 16, 17 et 18 décembre 2014, le Réseau thématique de l’Association française de sociologie consacré à la sociologie de l’urbain et des territoires (RT9) organise à Lille sa première Biennale : des journées d’études – appelées à devenir un rendez-vous récurrent – qui ont vocation à rassembler l’ensemble des sociologues français-e-s travaillant sur les villes et les questions urbaines ou territoriales, et plus largement tous les collègues intéressé-e-s.
Cette initiative est issue du constat que le Congrès général de l’AFS, avec ses dizaines de sessions simultanées, n’est pas forcément le moment le plus propice à des échanges continus entre des spécialistes de la ville qui sont souvent également impliqués dans les activités d’autres réseaux thématiques. D’où la volonté de l’actuel bureau du RT9 de pallier ce manque en proposant un rendez-vous national pour tous les sociologues urbains, et en faisant ainsi de ces journées le moment fort de son activité inter-congrès.
L’ensemble de la 1e Biennale se tiendra sur le campus de l’Université de Lille 1, à Villeneuve d’Ascq (M° Cité scientifique – Professeur Gabillard, voir carte p. 14), avec le soutien du CLERSÉ (UMR 8019) et, bien sûr, des instances centrales de l’AFS.
La première journée (mardi 16/12, de 9h00 à 19h00) sera entièrement consacrée à l’atelier doctoral du RT9 : un rendez-vous annuel, autogéré par les doctorant-e-s du réseau, qui existe depuis une demi-douzaine d’années. La thématique de son édition 2014 est : La ville par ses acteurs. Terrains et théories (voir le programme pp. 2-3).
La deuxième et la troisième journée (de 10h00 à 19h00) constitueront le cœur de la Biennale, et auront donc vocation à rassembler l’ensemble des participant-e-s à cette dernière. Elles comporteront dix séances ateliers consacrées à la comparaison en sociologie urbaine et des territoires, ainsi que quatre séances plénières consacrées plus spécifiquement à la comparaison internationale (voir le programme pp. 4-13).
Pratiquer la comparaison en sociologie urbaine
Sans comparaison la sociologie n’est pas possible, écrivait Durkheim dans Le Suicide. Depuis son apparition au tournant du XXe siècle, la sociologie urbaine a largement répondu à cette injonction : en mettant en place des comparaisons intra-nationales et internationales de villes ou de quartiers ; en s’intéressant à des contextes historiques différents dans une perspective diachronique ; en confrontant des échantillons de populations, des groupes ou des espaces identifiées préalablement comme comparables ; et en cherchant constamment à combiner les apports heuristiques de la monographie, le plus souvent locale, avec ceux d’une montée en généralité visant à identifier des modèles et des types idéaux (de quartiers, de villes, de configurations spatiales, de relations locales, de processus de transformation urbaine, etc.). En effet, comparer consiste souvent à décrire chaque cas étudié à l'aide d'une grille de lecture commune, imposée plus ou moins tard selon le protocole d’analyse choisi, puis à saisir les éventuelles convergences entre les différents cas et les particularités de chacun d’entre eux, afin de distinguer les effets locaux – notamment les "effets de lieu" – des logiques structurelles plus larges.
Cependant, les spécificités des objets et des questionnements de la sociologie urbaine la confrontent à des obstacles qui lui sont propres dans la mise en œuvre de la comparaison. L’étude de la variation de caractéristiques spatiales pose notamment la question des traits retenus pour comparer des espaces, et des limites des unités circonscrites pour justifier la comparaison. De la même façon, l’analyse sociologique des pratiques de l’espace et du territoire est soumise non seulement au danger épistémologique de la spatialisation, mais aussi à la difficulté de comprendre, en contexte, le sens que les acteurs (habitants, aménageurs, etc.) donnent à l’espace considéré.
On pourrait multiplier les exemples montrant que la sociologie urbaine a exprimé dès ses débuts une volonté affirmée, dans le cadre d’un solide enracinement empirique, de mobiliser la comparaison, mais qu’elle a en même temps rencontré des difficultés pour conceptualiser cette opération et la mettre en œuvre de façon raisonnée et réflexive ; et ce malgré le fait que l’exportation et le recours à des modèles et des instruments analytiques souvent élaborés dans un autre cadre local et/ou national (qu’il s’agisse de Chicago, de Paris ou d’ailleurs) reviennent de fait à comparer implicitement.
Les deux journées principales de cette première Biennale seront donc consacrées à la présentation de recherches comportant une dimension comparatiste, ainsi qu’à toutes les questions attenantes à la comparaison : pourquoi décide-t-on d’abandonner l’approche monographique pour aller vers la comparaison ? Quels sont les avantages et désavantages d’un research design d’emblée comparatiste, par rapport à la « mise en regard » dans un second temps de résultats élaborés indépendamment ? Comment sont choisies et délimitées les unités que l’on confronte ? Quelles sont les méthodes mobilisées – et éventuellement combinées – et comment se déclinent-elles dans le cadre d’une comparaison (que celle-ci soit réalisée à la demande d’un tiers ou dans le cadre d’une recherche « purement » académique) ? Est-il possible, en sociologie urbaine, de sélectionner les termes de la comparaison afin de réduire et d’identifier précisément les variables dont on souhaite étudier l’effet ? Au niveau de la forme des textes produits, quelles sont les rhétoriques descriptives et les économies de la démonstration mobilisées pour comparer des unités spatiales ? La monographie est-elle un genre dépassé et, si non, à quelle condition peut-elle progresser ? L’injonction à la comparaison – de plus en plus récurrente, notamment de la part des agences de financement – peut-elle dans certains cas être un obstacle pour la recherche ?
Certaines séances se pencheront par exemple sur les enquêtes comparatistes portant sur des groupes sociaux, habitants ou usagers de la ville, dont on étudie les pratiques spatiales. Il s’agira alors d’ouvrir la « boîte noire » des recherches, pour développer une réflexion méthodologique, portant notamment sur la construction de l’objet et le choix des terrains... Quelles sont les stratégies mobilisées pour permettre la comparaison et la « comparabilité » ? Comment sont identifiés ces groupes ? De quelles manières leurs pratiques de l’espace et leurs discours sont-ils étudiés puis décrits ? Quel rôle les éléments morphologiques (au sens d’Halbwachs) jouent-ils dans la comparaison ?
D’autres séances s’intéresseront aux politiques urbaines comparées, notamment sur le plan international, mais pas seulement. Qu’il s’agisse de politiques de logement, de planification urbaine ou de gestion des espaces publics, etc. On pourra ainsi s’interroger, là aussi, sur les appariements réalisés et leurs justifications, sur les effets de contextes, sur les référents implicites, et sur les avantages et limites liés à la comparaison.
Lorsqu’elles porteront sur la comparaison internationale, les interventions seront particulièrement attentives à la façon dont celle-ci implique très souvent des processus de circulation et de transfert de concepts et de notions scientifiques (gentrification, durabilité, résilience, justice spatiale, etc.) entre différents pays et entre (sous-)champs scientifiques nationaux. Cette circulation témoigne de l'internationalisation de la recherche (via notamment les financements des agences de moyens), selon des modalités qu’il s’agit d’étudier. Par ailleurs, la mise en place d’une comparaison internationale peut également poser la question de la collaboration entre chercheurs habitués à des organisations différentes du travail scientifique.
Enfin, les transferts de notions s'opèrent aussi entre la sphère scientifique et les sphères politique, médiatique et opérationnelle (que l’on pense par exemple à la diffusion des termes « ghetto », « communautés », « bobo », « empowerment », etc.), ainsi qu’au sein de ces dernières à l’échelle internationale. On observe par exemple des circulations transnationales dans le champ de l'intervention sociale territorialisée : des notions (mixité, « key workers », etc.), des démarches et des dispositifs voyagent d'un pays à l’autre, et devraient ainsi amener la sociologie à questionner leurs conditions d'importation.
La comparaison au cœur de la sociologie urbaine
Patrick Le Galès (CNRS-CEE et Sciences Po) – Le renouveau des comparaisons en sociologie urbaine : controverses conceptuelles et méthodologiques La recherche urbaine est en train de se restructurer autour du label « global comparative urbanism », décliné de différentes manières. Ceci a entrainé un regain de recherches comparatives et un débat extrêmement vif sur les manières de faire de la comparaison, la nécessité de réinventer la théorie urbaine à partir du Global South, et sur les catégories et les échelles de la comparaison. La sociologie urbaine est d’ailleurs assez absente de ces débats, ce qui révèle une relative marginalisation au sein du champ de la recherche sur les villes. Le papier passe en revue ces débats et développe certaines conceptions de la comparaison en sociologie urbaine.
Christian Topalov (CNRS-CMH et EHESS) – Le programme de recherche international « Les mots de la ville » : une expérience comparative Ne croyons pas que les mots de la ville désignent simplement les choses auxquelles ils réfèrent : ils les classent en catégories, leur assignent des significations, leur donnent parfois des valeurs. Pour s’en convaincre, il suffit d’essayer de traduire : c’est généralement impossible – même si c’est constamment pratiqué. Il suffit, aussi bien, d’avoir la curiosité de retrouver ce qu’un mot de la ville aujourd’hui pouvait signifier hier : souvent bien autre chose. Ces étonnements sont à l’origine d’un projet de recherche international basé à Paris, qui a intéressé 160 auteurs pendant une dizaine d’années et a donné lieu en 2010 à la publication en français d’un gros ouvrage, L'Aventure des mots de la ville, portant sur environ 260 mots de la ville dans sept langues européennes et américaines, et en arabe. Cette expérience comparative invite à réfléchir sur la langue dans laquelle on compare et, au-delà, sur la situation comparative dans laquelle tout chercheure se trouve quand il utilise la langue naturelle pour décrire et analyser.
Loïc Wacquant (Université de Californie à Berkeley et CESSP) – Classe, ethnicité, État : causes et formes de la relégation urbaine Dans les villes postindustrielles, la relégation urbaine prend la forme d’une assignation réelle ou imaginaire à des formations socio-spatiales distinctives, désignées par des termes aussi divers que flous tels que « inner cities », « ghettos », « enclaves », « zones de non-droit », « banlieues à problèmes » ou, simplement, « quartiers difficiles ». Comment caractériser et différencier ces espaces ? Qu’est-ce qui détermine leur trajectoire (naissance, croissance, déclin et disparition) ? D’où provient l’intense stigmate qui leur est attaché dans la période contemporaine ? Et quelles permutations entre classe, ethnicité et État matérialisent-ils ? Telles sont les questions qu’abordait mon ouvrage Parias urbains (2006), au fil d’une comparaison méthodique des trajectoires du ghetto noir étasunien et des périphéries populaires européennes à l’âge du néolibéralisme ascendant. Dans cet article, je revisite cette sociologie intercontinentale de la « marginalité avancée » afin de tirer des enseignements plus généraux pour l’analyse des rapports intriqués entre espace symbolique, espace social et espace physique dans les métropoles polarisées au seuil du siècle. Ce faisant, je montrerai comment les principes centraux de la sociologie de Bourdieu s’appliquent aux études urbaines comparatives et permettent de les renouveler.
Apports et enjeux de la comparaison internationale inter-quartiers
François Cusin et Hugo Lefebvre (Univ. Paris-Dauphine/IRISSO) – Peut-on comparer la structure sociale des marchés immobiliers des villes françaises et américaines ? Enquête sur la diversité urbaine outre-Atlantique Les villes américaines ont longtemps été décrites à travers une opposition entre périphéries riches et centres pauvres partiellement gentrifiés. Des travaux plus récents annoncent cependant de nouvelles dynamiques, avec notamment le déclin des périphéries éloignées, et le renforcement de la polarisation des classes supérieures dans les villes-centres. Ces évolutions contredisent-elle l’image d’une dilution des villes américaines au profit de leur périphérie ? Le phénomène est-il d’ailleurs homogène à l’échelle du pays ? Notre présentation s’appuie sur une étude de la diversité des structures immobilières et sociales des villes américaines. Nous aborderons dans un premier temps les facteurs du développement des villes américaines à l’échelle fédérale et locale ainsi que les arguments avancés par les auteurs qui défendent le principe d’une « grande inversion spatiale ». Nous traiterons ensuite de la structure immobilière et sociale des villes américaines à travers une observation des prix de l’immobilier en fonction de l’éloignement au centre, puis un focus sur la baie de San Francisco. Enfin, nous insisterons sur les mécanismes qui expliquent les spécificités des villes américaines par rapport aux villes françaises. Ceci nous conduira à nous interroger sur le transfert de concepts et théories d’un contexte national à l’autre.
Jean-Yves Authier (Univ. Lyon 2), Anaïs Collet (Univ. de Strasbourg), Sonia Lehman-Frisch (Univ. de Cergy-Pontoise) et Isabelle Mallon (Univ. Lyon 2) – Être enfant et habiter dans des quartiers bourgeois ou populaires, à Paris ou à San Francisco : enjeux, difficultés et apports d’une démarche doublement comparative Pour apporter une contribution à la connaissance des manières d’habiter, de cohabiter et de vivre en ville des enfants, nous avons réalisé une recherche (en cours d’achèvement) auprès d’enfants âgés de 9 à 11 ans (et d’une partie de leurs parents), résidant à Paris et à San Francisco, dans deux types de quartiers contrastés : des quartiers bourgeois et des quartiers populaires. Dans le cadre de cette communication, nous proposons d’abord de revenir sur les enjeux de cette démarche doublement comparative : pourquoi comparer les pratiques et les sociabilités urbaines des enfants parisiens et des enfants san franciscains ? Pourquoi étudier, à Paris et à San Francisco, des enfants des « beaux quartiers » et des enfants de quartiers populaires ? Nous exposerons ensuite les principales difficultés que nous avons rencontrées dans la mise en œuvre de ce travail doublement comparatif. Ces difficultés sont de divers ordres. Elles concernent aussi bien le choix des terrains (comment choisir des terrains « comparables » ?), que l’acceptation de l’enquête dans chacun d’eux, ou encore, le travail d’enquête proprement dit (associant des entretiens, des observations et la production de dessins de quartier). Enfin, nous présenterons quelques apports de notre démarche. Nous montrerons notamment que ce travail doublement comparatif permet de dégager des proximités à géométrie variable (par exemple, entre les enfants des « beaux quartiers » de Paris et de San Francisco ou entre les enfants des « beaux quartiers » et les enfants des quartiers populaires parisiens). Nous insisterons aussi sur le fait que comparer ne permet pas seulement de mettre en évidence à la fois des régularités et des différenciations, mais aussi de penser autrement chaque réalité observée.
Stéphanie Vermeersch (CNRS-Mosaïques) – Des « classes moyennes » aux « middle classes » : intérêts et difficultés de la comparaison entre Paris et Londres S’il présente un intérêt du point de vue heuristique, le travail comparatif est de surcroît de plus en plus valorisé par les institutions dont dépend la recherche. D’instrument permettant d’acquérir des connaissances, il devient progressivement un outil indispensable des demandes de moyens financiers. Sa mise en place ne va pourtant pas sans difficultés, depuis les choix de terrain et la définition même des concepts centraux, jusqu’à la valorisation des résultats de recherche, en passant par les écueils du dialogue au sein d’équipes de recherche plurilingues. Cette communication entend revenir sur les intérêts et les difficultés de la comparaison internationale à partir de l’exemple d’une recherche franco-britannique, financée par l’ANR française et son équivalent britannique, l’ESRC (Economic and Social Research Council). Centrée sur une double approche sociale et territoriale, comparant cinq quartiers dans chacune des deux métropoles européennes, Paris et Londres, l’ANR Middle Classes in the City a en effet constitué une expérience riche d’enseignements qui permet d’aborder de nombreux aspects du travail comparatif : le choix de quartiers londoniens et parisiens présentant des contextes socio-urbains similaires, la définition de notions et concepts ayant émergés dans des traditions de recherches différentes, en l’occurrence des groupes sociaux désignés comme « middle classes », la mise en convergence de problématiques historiques et nationales distinctes, l’élaboration de grilles d’entretiens communes quand les références des interviewés ne sont pas les mêmes de part et d’autre de la Manche… et jusqu’à la valorisation des résultats et au travail de rédaction d’articles et/ou d’ouvrages, seront abordés dans cette communication.
Comparaison et action publique urbaine
Gilles Pinson (IEP de Bordeaux) – Penser par cas, penser par comparaison. La pratique des monographies comparées dans l’analyse des politiques urbaines On a coutume d’opposer dans les débats méthodologiques en sciences sociales l’approche comparative et l’approche monographique. La première serait l’apanage de démarches de nature déductive dans lesquelles le chercheur teste le rôle de variables qu’il a identifiées préalablement à l’enquête empirique car ils les considèrent comme susceptibles de faire diverger les cas qui composent son échantillon. La seconde serait le propre de démarches plus inductives au travers desquelles le chercheur attend d’une immersion dans un terrain parfaitement maîtrisé qu’elle lui suggère les problématiques, les hypothèses et les variables explicatives qui seront ensuite testées sur le même terrain. Les tenants de l’approche comparative sont généralement soupçonnés de céder à une conception positiviste de la recherche, de réifier les objets et les variables et de demeurer aveugle aux effets des contextes et des chaînages historiques dans lesquels chaque cas est inséré. Les tenants de l’approche monographiques sont quant à eux soupçonnés de fétichiser le cas et le terrain, et se complaire dans l’exposé des contextes et des généalogies du cas, refusant le jeu de l’engagement théorique. Sans prétendre fournir les clés d’une synthèse miraculeuse, cette communication entend explorer de quelle manière on peut dépasser ce schisme et montrer que, de fait, bon nombre de travaux en recherche urbaine (Sassen, Savitch, Abu-Lughod, Robinson, Simone, Le Galès, Pinson, Bonnet, Cousin, Béal, Pollard, Rousseau pour n’en citer que quelques-uns) comparent des données issues de monographies fouillées sans que cette pratique n’ait jamais été explicitée, théorisée ou encore moins défendue.
Fabien Desage (Univ. Lille 2/CERAPS et Univ. de Montréal/CERIUM) – Le maintien des discriminations comme condition ? Construire des logements sociaux en temps de crise et de « mixité », une comparaison France/Québec Depuis une dizaine d’année, en France comme au Québec, la fixation de taux minimum de logements sociaux (par commune et/ou par opération) est devenue l’un des outils privilégié des pouvoirs publics pour favoriser le développement du parc social. Ces taux sont contraignants en France (loi SRU de décembre 2000) et incitatifs au Québec (politique dite « d’inclusion » des municipalités), mais procèdent d’une logique semblable, valorisant la mixité sociale comme objectif d’action publique et insistant sur les opportunités de développement que fourniraient les opérations privées, dans un contexte de baisse des financements publics. L’une des originalités de cette politique des taux, en France comme au Québec, consiste à faire des communes résidentielles déficitaires et/ou des promoteurs de logements privés les nouvelles cibles et vecteurs privilégiés de la construction de logements sociaux. Autrement dit, de placer au cœur du dispositif un ensemble d’acteurs traditionnellement peu enclins voire réfractaires au développement du logement social. Si ces derniers ont d’abord contesté ces objectifs, nos recherches indiquent qu’ils s’y sont assez largement ralliés dans la période plus récente. Comment expliquer cette « conversion » apparente ? Nous montrerons notamment que l’acceptation du principe d’un « taux minimum de logements sociaux » n’a été consentie par les maires des communes résidentielles et par les promoteurs immobiliers (traditionnels « veto groups ») qu’à la condition implicite d’en restreindre l’accès aux habitants issus de la commune (France) ou aux demandeurs sélectionnés par le réseau coopératif (Québec). Autrement dit, d’en exclure les populations les plus « indésirables » et stigmatisées. Le maintien des discriminations à l’entrée apparaît bien, dès lors, comme l’une des conditions du succès quantitatif relatif de ces politiques (davantage de logements sociaux), mais annonce également leur échec « qualitatif » (peu de changements dans la population des quartiers/communes concernés).
Marie-Hélène Bacqué (Univ. Paris Ouest) – De la comparaison à la circulation des catégories : la notion d’empowerment Comment est-il possible de comparer des politiques publiques qui se déploient dans des contextes socio-politiques historiquement différents mais dans une époque marquée par l’internationalisation et par la circulation des catégories politiques et scientifiques ? Telle est la question que voudrait aborder cette communication à partir de l’analyse des politiques publiques conduites dans les quartiers populaires en France, en Grande Bretagne et aux États-Unis. Nous reviendrons plus particulièrement sur la façon dont les discours administrativo-politiques mobilisent la notion d’empowerment et sur les différents sens que peut prendre cette notion selon les chaines d’équivalence auxquelles elle est associée. D’abord diffusée aux États-Unis au début des années 1970 au sein des mouvements sociaux et en particulier des mouvements féministes dans une perspective radicale, cette notion est ensuite mobilisée par les politiques publiques au point de devenir une catégorie majeure dans le vocabulaire de grandes institutions comme la Banque mondiale et de caractériser des programmes publics qui, comme celui des empowerment zones aux États-Unis, s’inscrivent dans une perspective social-libérale voire néo-libérale. Si le vocabulaire de l’empowerment est importé en France au début des années 2000, c’est cependant le plus souvent dans une approche restrictive qui tend à opposer très schématiquement une approche anglo-saxonne à une approche française républicaine. L’analyse de la circulation de la notion permet de discuter ce prisme comparatif.
Au-delà du miroir anglo-américain
Edmond Préteceille (CNRS-OSC et Sciences Po) – Comparer la ségrégation et la structure sociale des métropoles : Paris, Rio de Janeiro et São Paulo Cette communication présentera des éléments d’une recherche en cours comparant les évolutions de la division sociale de l’espace à Paris, Rio de Janeiro et São Paulo. Dans une première partie, on discutera la construction théorique et surtout méthodologique de la recherche, en montrant son élaboration par l’interaction pragmatique entre objectifs théoriques et opportunités, et les avantages de l’ « artisanat intellectuel » retenu comme mode de travail. Dans une deuxième partie, on discutera de façon plus précise des difficultés de la construction de catégories socioprofessionnelles communes pour la comparaison, et de ce que certaines de ces difficultés permettent de comprendre de différences sociales significatives qui doivent être prises en compte dans la recherche. Dans une troisième partie, on présentera quelques résultats sur la comparaison des structures sociales d’ensemble et de leurs évolutions ; sur les similitudes et différences entre les trois villes quant à l’intensité et à l’organisation spatiale de la ségrégation ; et enfin sur les interactions entre ségrégation socioéconomique et ségrégation ethno-raciale. On montrera en quoi certains de ces résultats valident a posteriori le mode de travail choisi, par la vérification de l’utilité de l’usage d’une catégorisation détaillée, ou par le poids de l’histoire de chaque ville dans la structuration de la division socio-spatiale.
Simone Tosi (Univ. Milan-Bicocca) et Tommaso Vitale (Sciences Po) – De l’usage comparatif des « studi di comunità ». La tradition italienne d’études locales et l’influence des modèles angloaméricains Pendant les années 1950, l'Italie a connu un développement des études de communauté, en particulier dans le Sud. Concernant souvent le sous-développement ou l'absence de développement, les enquêtes s’appuyaient souvent sur les cadres conceptuels de l'économie marxiste pour consolider la sociologie urbaine. La tradition des études de communauté s’est ensuite affirmée au travers d’un programme de recherche concentrant l'analyse sur la relation triangulaire entre l’évolution des liens communautaires, la transformation de la production industrielle, et les mutations urbaines et territoriales. Même si, à partir des années 1970 cette tradition italienne a été très influencée par les travaux étasuniens (notamment le Middletown de Robert et Helen Lynd), nous présenterons donc d’abord les différences et les similarités entre les deux traditions. Par la suite, l’hybridation avec l’approche comparative, et donc la comparaison entre plusieurs études de communautés, a été développée en Italie pour analyser dans quelle mesure les nouvelles vagues d’urbanisation et de désindustrialisation ont modifié les liens communautaires et ont produit des effets sur l'action collective. Pour ce faire, l’apport de l’approche compréhensive en termes d’urban political economy comparée a été déterminant ; alors que, aux Etats-Unis, le croisement entre études de communauté et méthode comparative a été moins important, et essentiellement finalisé à préciser les formes du lien communautaire dans une période caractérisée par la mondialisation et l’individualisation. Ainsi, si le deux traditions nationales interrogent les limites de la communauté locale et développent des analyses causales multiniveaux, les apportes potentiels de la comparaison restent encore un chantier fécond à explorer : notamment en ce qui concerne les hiérarchies urbaines entre le centre et la périphérie, et les modalités de signification et de représentation qui informent les formes d’association et de réciprocité dans un territoire.
Elise Palomares (Univ. Rouen) – Partitions informelles : comparer les commerces de rues à Mamoudzou (Mayotte, DOM) et à Johannesburg (Afrique du Sud) Cette communication présente une démarche comparative en cours fondée sur des terrains menés dans la République d’Afrique du Sud et dans l’île de Mayotte. Bien que leurs trajectoires historiques soient profondément différentes, les démocraties françaises et sud-africaines sont toutes deux officiellement devenues « aveugles à la race ». Mais elles sont l’une comme l’autre travaillées en permanence par le « legs de l’histoire coloniale », qui configure les dynamiques migratoires singulières que connaissent les villes de Johannesburg et de Mamoudzou. Afin de mettre à l’épreuve la validité et l’intérêt d’une comparaison internationale a posteriori des recompositions des rapports raciaux dans la ville liées aux migrations, on met ici en perspective des investigations empiriques effectuées dans le cadre de deux projets distincts. Les premières portaient sur les migrations africaines dans le quartier de Yeoville, quartier péricentral de Johannesburg anciennement réservé aux « Blancs » durant l’apartheid, et notamment sur la formalisation de commerces de rue par les pouvoirs publics locaux. Cette formalisation des commerces de rue dans des marchés couverts est conçue à l’échelle de la ville comme une réponse globale aux activités informelles développées par les migrants, dans un double souci d’hygiénisme et de restauration d’une africanité imaginée de la ville de Johannesburg, censée lui faire défaut. Cette configuration singulière sera mise au regard de données concernant l’espace commerçant formel et informel qui s’organise à Mamoudzou au sortir de la barge reliant Petite-Terre à Grande-Terre, développé par des Mahorais.e.s, des Anjouanais.e.s et des Africain.e.s du continent. Observer ces lieux, recueillir ce que se dit à leur propos, comprendre leur gestion permet d’accéder aux relations que les migrant.e.s nouent avec les autres groupes, aux conflits, aux discriminations, aux concurrences, aux coopérations, et, plus largement, aux urbanités politiques qui s’élaborent dans ces contextes socio-raciaux inégalitaires et sous tension.